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À l’approche de la Journée mondiale de la justice sociale, nous avons discuté avec Simel Esim, responsable de l’unité COOP/SSE de l’Organisation internationale du travail (OIT) et présidente du Groupe de travail interinstitutions des Nations unies sur l’économie sociale et solidaire à propos des coopératives et de la justice sociale et du lien entre les deux.
« Collectivement, les diverses formes de coopération favorisent non seulement la résilience économique, mais contribuent également de manière significative à la justice sociale, à l’autonomisation des communautés et à la durabilité environnementale » a-t-elle déclaré.
Q : Parlez-nous brièvement de l’OIT et de l’Unité COOP/ESS.
L’OIT a été créée en 1919 avec pour objectif fondamental de promouvoir la justice sociale et de protéger les droits de l’homme et du travail reconnus au niveau international. Reconnaissant le potentiel de transformation des coopératives, l’OIT a créé en 1920 une Unité coopérative dédiée – l’un de ses plus anciens domaines d’expertise technique. À cette époque, le premier directeur de l’OIT, Albert Thomas, figure de proue du mouvement coopératif français et membre du Comité central de l’Alliance coopérative internationale, a souligné l’importance de la coopération pour le mandat de l’OIT. Il a fait cette remarque célèbre :
« Le Traité de paix exige que le Bureau international du Travail ne se préoccupe pas seulement des conditions de travail mais aussi de la condition des travailleurs. C’est sous la forme de la coopération que cette idée est le mieux perçue dans les cercles populaires. La Section de la coopération ne se limiterait pas aux seules questions d’alimentation ; elle pourrait aussi étudier les conditions – de logement, les questions touchant aux loisirs des travailleurs, les questions relatives aux facilités de déplacement (billets de travail), etc. En outre, la coopération constitue déjà un mouvement international important dont le Bureau doit nécessairement se préoccuper dans son propre intérêt. »
Cette déclaration visionnaire a guidé l’engagement continu de l’OIT à exploiter le pouvoir des coopératives dans le monde entier. Au fil des décennies, le rôle des coopératives a été renforcé en tant que contributeur efficace à la réduction de la pauvreté, à des sociétés inclusives et à la transition de l’économie informelle vers l’économie formelle, permettant la reprise et le renforcement de la résilience.
Aujourd’hui, l’Unité de l’économie coopérative, sociale et solidaire de l’OIT perpétue cet héritage vital en tant que seule Unité technique dédiée au sein du système des Nations unies axée sur la politique et le développement des coopératives. Cette Unité collabore étroitement avec les gouvernements, les organisations d’employeurs et de travailleurs, les mouvements coopératifs et d’autres acteurs de l’économie sociale et solidaire, ainsi qu’avec les Nations unies et les organisations multilatérales. Elle s’appuie sur ces partenariats pour favoriser la cohérence, faciliter la mise en place de cadres juridiques et politiques propices, renforcer la recherche, les statistiques et les services de partage des connaissances, et proposer des programmes de développement des capacités.
Q : L’OIT se consacre depuis plus de 100 ans à la promotion de la justice sociale et à la reconnaissance internationale des droits de l’homme et du travail. Comment les coopératives – et votre travail avec l’ACI – contribuent-elles à y parvenir ? Pouvez-vous nous donner quelques exemples dont vous avez été témoins dans le monde entier ?
Les coopératives sont un puissant mécanisme de promotion de la justice sociale car elles reposent sur des principes de gouvernance démocratique, de propriété partagée et d’entraide. En permettant aux travailleurs, aux membres, aux consommateurs et aux communautés d’avoir un intérêt direct dans la prise de décisions économiques, les coopératives contribuent à garantir que les bénéfices économiques sont répartis plus équitablement et que l’inclusion sociale est au cœur du développement.
Il existe un lien profond entre la justice sociale et la réalisation de la protection sociale universelle, entendue comme l’accès à une protection complète, adéquate et durable tout au long du cycle de vie, conformément aux normes de l’OIT. Les coopératives et les mutuelles peuvent soutenir les efforts de protection sociale en facilitant l’accès et en tant que prestataires de services.
Faciliter l’accès implique de sensibiliser, de défendre et d’enregistrer collectivement les membres, y compris les travailleurs de l’économie informelle, afin de garantir qu’ils puissent accéder aux systèmes nationaux de protection sociale. Au Costa Rica, les coopératives agricoles ont conclu des accords d’assurance collective avec la Caisse costaricienne de sécurité sociale (CCSS). Les coopératives sont chargées de collecter et de transférer les cotisations de leurs membres, simplifiant ainsi les procédures, réduisant les coûts et facilitant l’accès à la sécurité sociale dans les zones rurales. Aux Philippines, les coopératives facilitent l’inscription de leurs membres auprès de l’Agence nationale d’assurance maladie (PhilHealth) et la collecte des cotisations, ce qui a contribué à améliorer les niveaux de couverture.
Les coopératives peuvent également jouer un rôle de prestataires de services dans des domaines tels que la santé, l’aide sociale et le logement et ainsi soutenir les systèmes nationaux de protection sociale auprès de groupes et de communautés vulnérables spécifiques qui peuvent être difficiles à atteindre. L’Organisation internationale des coopératives de santé estime que quelque 100 millions de ménages dans le monde ont accès aux soins de santé par l’intermédiaire de 3 300 coopératives de santé dans 76 pays. Nombre d’entre elles sont intégrées en tant que prestataires de systèmes nationaux de protection sociale. Par exemple, la coopérative Tubusezere au Rwanda fournit des services de prévention, de diagnostic et de traitement du VIH et du sida aux femmes, y compris aux travailleuses du sexe, qui ne fréquentaient pas les services de santé de leur district par crainte de stigmatisation.
Q : En 2007, l’ONU a désigné le 20 février comme la Journée mondiale de la justice sociale. Et cette année, c’est l’Année internationale des coopératives. Quels sont vos projets pour célébrer ces deux occasions ?
Cette année est en effet très importante car elle marque à la fois la Journée mondiale de la justice sociale et la deuxième Année internationale des coopératives (AIC2025). Nos célébrations pour l’AIC2025 soulignent le rôle central que jouent les coopératives dans la promotion de la justice sociale et du développement durable. Nous répondons aux demandes des mandants de l’OIT, des bureaux extérieurs et des partenaires coopératifs pour des événements conjoints, des publications et des activités de renforcement des capacités entreprises en partenariat.
Dans le cadre de notre plan de travail, nous avons prévu une série de webinaires autour de thèmes demandés par nos collègues sur le terrain (par exemple, les liens entre les coopératives, les mutuelles et l’économie sociale et solidaire au sens large) mais aussi sur lesquels nous avons un volume de travail croissant (par exemple, la fourniture de services de soins par le biais de coopératives, l’utilisation des coopératives pour créer des moyens de subsistance dans les situations de déplacement forcé, la formalisation de l’économie informelle par le biais de l’économie coopérative, sociale et solidaire).
Nous allons également faire avancer d’autres initiatives au cours de l’année, comme le lancement du groupe de travail technique sur la mesure de la contribution économique des coopératives en partenariat avec le Comité pour la promotion et le progrès des coopératives (COPAC). Une série de rapports nationaux sur les bonnes pratiques et les leçons apprises sont en cours d’élaboration pour documenter le travail de l’OIT avec les coopératives dans les contextes de déplacements forcés.
Q : Pourquoi pensez-vous que l’ONU a déclaré une nouvelle Année internationale des coopératives ? Et quel est le rôle du COPAC ?
La décision de déclarer une nouvelle Année internationale des coopératives reflète une reconnaissance croissante du pouvoir transformateur des coopératives pour relever les défis économiques et sociaux d’aujourd’hui. Au cours de la dernière décennie, les coopératives ont montré leur capacité à s’adapter aux changements technologiques rapides, aux changements démographiques et aux défis environnementaux. Elles restent sous-représentées dans de nombreux cadres politiques mondiaux malgré leur capacité avérée à promouvoir une croissance inclusive et la cohésion sociale. L’accent renouvelé mis sur les coopératives à travers l’Année internationale des coopératives 2025 est un appel à intégrer plus pleinement les modèles coopératifs dans les stratégies de développement nationales et internationales.
Le COPAC joue un rôle crucial pour assurer un dialogue et une coopération multilatéraux autour de la promotion et du développement des coopératives. En tant que partenariat multipartite, il rassemble l’Alliance coopérative internationale et des agences des Nations unies, notamment le DAES, la FAO, l’OIT, l’ITC et l’UNRISD. Le COPAC s’efforce de tirer parti de l’AIC2025 pour garantir que les coopératives soient reconnues comme des moteurs essentiels d’un progrès économique inclusif, résilient et durable.
Le COPAC y parvient en promouvant les coopératives et leurs contributions au développement durable lors de plateformes clés des Nations unies telles que la 63e session du Comité du développement social, la 69e session du Comité de la condition de la femme, la quatrième Conférence internationale sur le financement du développement et le deuxième Sommet mondial pour le développement social. Ces efforts contribuent à souligner l’importance des coopératives dans la promotion d’un développement inclusif et l’amélioration du statut économique des communautés marginalisées.
Q : Selon vous, comment les coopératives contribuent-elles à bâtir un monde meilleur ?
Les coopératives construisent un monde meilleur en proposant un modèle inclusif de participation économique. Elles donnent du pouvoir aux individus en leur donnant la possibilité de s’exprimer sur la manière dont leurs entreprises sont gérées, garantissant ainsi un partage équitable des bénéfices de l’activité économique. Cette approche favorise la cohésion sociale et contribue à réduire les inégalités. Par exemple, les coopératives agricoles soutiennent les agriculteurs en mettant en commun leurs ressources et en accédant à des marchés plus vastes, stabilisant ainsi les revenus et soutenant le développement rural. Dans les zones urbaines, les coopératives de consommateurs veillent à ce que les membres de la communauté aient accès à des biens abordables et de qualité tout en réinvestissant les bénéfices dans des initiatives locales. Les coopératives de travailleurs, quant à elles, offrent une alternative durable aux modèles d’emploi conventionnels en donnant aux travailleurs la propriété et un droit de parole direct dans la prise de décision, ce qui conduit à des conditions de travail plus équitables et à une meilleure sécurité de l’emploi. En outre, les coopératives émergent pour répondre aux défis mondiaux actuels : par exemple, les coopératives de plateformes numériques, les coopératives d’énergie renouvelable et les coopératives de soins. Collectivement, ces diverses formes de coopération favorisent non seulement la résilience économique mais contribuent également de manière significative à la justice sociale, à l’autonomisation des communautés et à la durabilité environnementale.
Lancement de l'Année internationale des coopératives 2025 dans la région Asie-Pacifique et au Japon
Le 19 février, le bureau régional de l'Alliance coopérative internationale Asie-Pacifique (ACI-AP) a célébré le lancement officiel de l'Année internationale des coopératives 2025 en organisant un événement prestigieux à l'Université des Nations unies à Tokyo. L'événement, organisé conjointement par l'ACI-AP, le Comité japonais de l'ACI2025 et le Bureau de l'Organisation internationale du travail pour le Japon, a réuni 700 délégués (250 en personne et 450 en ligne), dont différents dirigeants de coopératives, représentants gouvernementaux, coopérateurs et jeunes participants, pour célébrer et renforcer le rôle des coopératives dans le développement durable.
L'événement a débuté par le discours d'ouverture de M. Toru Yamano, président du Comité japonais de l'ACI2025 et président du membre de l'ACI JA-Zenchu, qui a remercié tout le monde pour sa participation et a reconnu l'importance des coopératives dans la promotion du développement durable et de la solidarité sociale.